L’orientation sexuelle relève-t-elle de la vie privée ?
À l’heure où nous célébrons le mois des fiertés, vous vous apprêtez sûrement à organiser des événements autour de la visibilité des personnes LGBTQI+. Que vous soyez responsable des ressources humaines, responsable D&I… vous avez probablement déjà entendu un.e collègue dire :
“Moi je pense qu’on ne devrait pas parler des sujets LGBT. Ça relève de la sexualité et donc de la vie privée”
Comment répondre à cette affirmation, sans brusquer son ou sa collègue ? Pas toujours simple, vous en conviendrez sûrement ! Pourtant, le propos n’a pas nécessairement été dit avec l’intention d’invisibiliser les personnes LGBTQI+. Il est important de ne jamais préjuger des intentions d’une personne. Pour mieux comprendre le propos, et savoir y répondre, notre expert et formateur Jawad Bouadjadja vous propose de le disséquer ensemble :
Dissection d’une évidence : pourquoi affirmer que « l’orientation sexuelle relève de la sexualité et donc de la vie privée » ?
Si on regarde cette phrase de plus près, elle suggère au moins deux prémisses :
- Les salarié.es seraient contraint.es de ne pas parler de leur vie privée au travail
- Les salarié.es n’ont pas à partager leur sexualité au travail
“On ne peut pas parler de sa vie privée au travail” ? SI, on peut !
- Les contraintes en matière de respect de la vie privée concernent l’employeur : lors d’un recrutement, l’employeur a l’obligation de se focaliser sur des enjeux ayant un lien direct avec l’emploi et les tâches à réaliser ; lors d’un licenciement, un employeur ne peut invoquer un motif personnel que si ce dernier a un impact sur les obligations professionnelles du/de la salarié.e
- Et si des limites existent également pour les salarié.es en matière de liberté vestimentaire ou d’usages du matériel fourni par l’entreprise, les salarié.es sont tout à fait libres de parler de leur vie privée (aussi bien pendant un entretien d’embauche que tout au long de la vie en entreprise). Et d’ailleurs, beaucoup le font : ils/elles parlent de leurs ami.es, de leurs enfants, de leur logement, de leurs vacances, de leurs activités sportives, de leurs passions, de leurs aspirations, et même de leurs conjoints et conjointes…
>>> En réalité, les limites relèvent plus de normes implicites au travail que d’une réglementation légale !
“On ne peut pas parler de sa sexualité au travail” ? Tout dépend ce qu’on entend par sexualité…
- La sexualité ou l’orientation sexuelle sont souvent confondues avec les pratiques sexuelles. Si l’orientation sexuelle décrivait effectivement des pratiques sexuelles, nous pourrions sans doute tomber d’accord sur la nécessité d’une certaine proximité avant d’aborder ces questions en entreprise. Mais il n’en est rien.
- L’orientation sexuelle décrit plutôt une attirance sexuelle et/ou émotionnelle pour les personnes de sexe opposé, de même sexe, des deux sexes ou d’aucun des sexes. Il n’est donc jamais question de pratiques sexuelles, mais bien d’attirance. Pourtant, cette confusion est largement répandue, comme nous le constatons à l’occasion de nos animations. Elle a été entretenue par des termes qui ont longtemps cantonné l’homosexualité masculine à des actes sexuels, à l’instar de l’expression « sodomite ».
>>> L’orientation sexuelle n’est pas une expression évidente pour tout le monde. Une définition claire permet de la distinguer des pratiques sexuelles et d’écarter le tabou sur ces questions !
Apportons une réponse à notre collègue…
En ne préjugeant pas des intentions cachées de notre collègue, deux quiproquos sont apparus : sur la délimitation de la vie privée en entreprise et sur la définition de l’orientation sexuelle. Nous devons donc prendre en considération ces deux sujets si nous souhaitons susciter l’adhésion.
On vous propose une argumentation en deux étapes.
Étape 1 : Clarification sur la vie privée et sur l’orientation sexuelle
« Vous êtes tout à fait libres de parler de votre vie privée en entreprise. D’ailleurs, vous parlez indirectement de votre orientation sexuelle quand vous accrochez une photo de votre conjoint.e à votre bureau, lorsque vous racontez votre weekend à vos collègues, lorsque vous invitez des collègues à votre mariage… Absolument rien ne vous interdit de parler de vos conjoint.es et donc de votre orientation sexuelle. »
Étape 2: Clarification sur le maintien de l’égalité
Seul·es 6 employé·es LGBTQI+ sur 10 sont visibles auprès de leurs collègues
« Alors que la plupart des personnes hétérosexuelles peuvent se sentir libres de parler de leurs conjoint.es, ce n’est pas nécessairement le cas pour les personnes homosexuelles. Le baromètre L’Autre Cercle de 2024 montre par exemple que seulement 6 employé·es LGBTQI+ sur 10 sont visibles auprès de leurs collègues. Par crainte de parler de leur orientation sexuelle, certaines personnes LGBTQI+ peuvent se priver des temps informels de socialisation avec les collègues, temps lors desquels peuvent se jouer des enjeux professionnels. Des récits de vie professionnelle montrent aussi que cette crainte peut priver les personnes d’accès à leurs droits sociaux : comme cette personne qui, à la mort de son/sa conjoint.e, n’a pas sollicité ses 3 jours de congés pour ne pas avoir à révéler son orientation sexuelle. Visibiliser la diversité des orientations sexuelles, c’est simplement créer un environnement dans lequel les personnes ont vraiment la possibilité, si elles le souhaitent, de parler de leurs conjoints et conjointes aussi ».
Pour conclure
L’approche que nous venons de décrire est celle que nous mobilisons sans cesse lors de nos formations et de nos sensibilisations. Elle n’est pas simple, requiert une certaine expérience et nécessite l’appui de données objectives. Mais nous avons l’intime conviction qu’elle est celle qui nous permet, vraiment, de dépasser le cercle des convaincu.es.
